La Meiga et le Pêcheur

 

À Corcubion, non loin du cap Finisterre, là où sont les extrémités du monde, il y avait un pêcheur qui était jeune et beau et dont toutes les filles du pays voulaient devenir la femme. Mais le pêcheur n'était pas pressé de se marier. I1 menait tranquillement sa vie, ne travaillant que pour pouvoir vivre honorablement et ne pensait nullement à thésauriser pour assurer sa vieillesse.

Un jour qu'il était allé rendre visite à des parents dans une ferme éloignée et qu'il revenait à pied sur un sentier, il rencontra une meiga qui était assise sur un tronc d'arbre. I1 la salua aimablement comme il faisait chaque fois qu'il rencontrait une femme. Pourtant il savait bien que c'était une meiga, car elle avait des yeux trop clairs pour appartenir à la race des hommes.

" Où vas-tu, beau garçon ? dit-elle ".

" Je rentre chez moi, répondit-il. "

" Tu rentreras chez toi quand je le voudrai, dit la meiga. I1 faut d'abord que tu me promettes de m'épouser. "

Il la regarda attentivement. Elle était jeune et très belle, mais c'était une meiga. I1 savait bien qu'il n'était pas possible d'épouser une femme de cette sorte.

" Je n'ai nulle intention de me marier, répondit le pêcheur, que ce soit avec toi ou avec une autre. "

" Ce sera avec moi et avec nulle autre, dit-elle. Et si tu ne veux pas me promettre de m'épouser, je te rendrai la vie impossible. "

" Je ne te promettrai rien du tout ! s'écria le pêcheur. "

Et, sans plus attendre, il se remit à marcher et retourna chez lui. Là, il se mit en devoir d'allumer le feu dans la cheminée pour préparer son repas du soir. Mais il eut beau mettre du bois sec dans le foyer et battre le briquet, il ne put réussir à éclairer son feu. De guerre lasse, il mangea froid et se coucha tôt. Le lendemain, il se leva et se prépara pour aller en mer. I1 prit ses filets, porta ses rames sur son épaule et se dirigea vers le port. I1 détacha sa barque et s'en alla pêcher.

I1 faisait beau et il y avait très peu de vent. Bientôt le pêcheur sentit une torpeur peser sur sa tête. I1 cessa de pêcher et s'allongea dans sa barque, se disant qu'un petit somme lui ferait du bien. I1 dormit presque toute la journée. Il se réveilla tout à coup en sentant que quelqu'un lui tâtait les jambes et disait tout bas :

" Oh ! les bonnes petites jambes ! "

Puis il sentit qu'on lui palpait les cuisses. Et la même voix murmurait :

" Oh ! les bonnes petites cuisses ! "

Il se redressa, mais il ne vit personne. I1 était seul sur sa barque et la barque était ancrée dans une anse rocheuse, à l'écart de tout. Mais il n'y avait âme qui vive sur le rivage, et le pêcheur se trouvait fort perplexe. Tout à coup, il entendit la même voix dire, beaucoup plus fort :

" Apportez-moi la hache que je lui coupe les jambes et les cuisses ! "

Le pêcheur suait de peur, mais il ne souffla pas un mot. Et pourtant, la voix recommençait à se faire entendre :

" Oh ! les bonnes petites jambes ! Oh ! les bonnes petites cuisses ! "

Et cela de plus en plus fort. Et bientôt, ce fut une voix de tonnerre qui résonna :

" Apportez-moi la hache ! apportez-moi la hache ! "

À ce moment-là, quelque chose sauta hors du bateau et se mit à nager à grandes brasses, comme un poisson. Le pêcheur ne comprenait pas ce qui arrivait. I1 attendit sans bouger et sans rien dire. Enfin, quand le bruit disparut, il se glissa lui-même hors de la barque et regagna le rivage. Là, il regagna sa maison en toute hâte, sans attendre que le phénomène revînt. Mais il avait eu tellement peur qu'il en fut malade pendant quinze jours. Quand il fut guéri, il décida de retourner à la pêche. Mais dès qu'il fut sortit de sa maison, il rencontra la meiga. Elle était assise sur un rocher, sur le bord du chemin et elle le regardait avec des yeux brillants.

" Bonjour à toi, mon garçon, dit-elle. As-tu réfléchi à ce que je t'ai demandé l'autre jour ? Vas-tu me promettre de m'épouser ? "

" Je ne promets rien du tout à personne ! " s'écria le pêcheur de fort mauvaise humeur. Et il s'en alla vers le port. I1 prit sa barque pour pêcher dans l'estuaire. Mais comme il se penchait au dessus de la surface de l'eau afin de voir s'il y avait du poisson, il découvrit, au fond de la mer un vieux coffre délabré qui laissait échapper des monceaux de pièces d or étincelant de toutes parts.

Sans perdre un instant, il jeta l'ancre et, se dépouillant de ses vêtements, il plongea. Quand il arriva sur les pièces d'or qu'il voyait, il tendit ses mains et en ramassa deux pleines poignées. Alors, il remonta vite jusqu'à sa barque et y déposa son butin. Mais à sa grande stupeur, il vit que ce n'étaient que des cailloux qui se trouvaient dans la barque.

" Je me suis trompé ! s'écria-t-il. Dans ma hâte, j'ai ramassé n'importe quoi.I1 regarda sous la mer et y vit encore le coffre chargé pièces d or qui en débordaient. I1 plongea de nouveau, mais cette fois, il avait pris soin d'emporter un sac qu'il avait dans sa barque. Vite, une fois arrivé au fond de la mer, il remplit le sac et revint à la barque. Après s'être hissé à bord, il reprit sa respiration et déversa le contenu du sac dans la barque. Mais ce n'étaient que des cailloux. Alors il entendit une voix qui disait tout bas, puis de plus en plus fort :

" Qui veut trop n'a rien ! qui veut trop n'a rien ! qui veut trop n'a rien ! "

Le pêcheur avait beau regarder autour de lui, il n'y avait personne dans les environs. I1 était seul sur cette partie de la côte, et seules les mouettes tournoyaient en espérant récolter quelques-uns des poissons qu'il pêcherait. Mais il n'avait plus envie de pêcher. I1 retourna au port et reprit le chemin de sa maison. Cependant il était tellement déçu parce que les pièces d'or qu'il avait vues n'étaient que des cailloux qu'il en attrapa les fièvres et qu'il resta quinze jours malade dans son lit.

Quand il fut guéri, il décida d'aller passer la soirée à l'auberge. Il sortit de sa maison et, à l'entrée de la ville, il rencontra la meiga. Elle était assise sur un banc et elle était plus belle que jamais. Mais ses yeux étaient si brillants qu'on avait peine à soutenir son regard tant il brûlait et tant il faisait mal.

" Veux-tu m'épouser ? " demanda la meiga.

" Je n'épouserai personne ! " répondit le pêcheur. Et il s'en alla droit à l'auberge. I1 y but beaucoup en compagnie de ses amis. Il était très tard quand il voulut s'en aller. La nuit

était noire. Heureusement, il connaissait parfaitement le chemin qui menait à sa maison. Or, il était presque arrivé quand il aperçut une belle lumière qui semblait surgir de la terre. I1 s'approcha et se pencha pour examiner ce que c'était. I1 vit alors un couloir qui s'ouvrait sous la terre et qui semblait devenir de plus en plus large. Intrigué, il voulut en savoir davantage. I1 s'engagea dans le trou, suivit le couloir et déboucha dans une vaste salle où la lumière surgissait inexplicablement de toutes les parois. Et pourtant, il n'y avait rien dans cette salle, pas même la plus petite trace d'une lampe qui aurait pu provoquer cette lumière. I1 en était là de ses réflexions quand il se sentit saisi aux jambes et au bras. Quelque chose qu'il ne voyait pas le tenait et l'obligeait à se coucher sur le sol. Et une voix dit doucement :

" Oh ! les bonnes petites jambes ! "

Une autre voix sembla répondre : " Oh ! les bonnes petites cuisses ! "

La première voix reprit : " Oh ! les bons petits bras ! "

La seconde voix dit encore : " Oh ! les bonnes petites mains ! "

Le pêcheur était terrifié. Il tentait de se remettre sur pieds, mais il ne le pouvait pas, plaqué qu'il était au sol par des mains qu'il ne voyait pas, mais qui semblaient très puissantes. Alors, une troisième voix dit d'un ton beaucoup plus fort :

" Oh ! la bonne petite tête ! Oh ! la bonne petite tête ! "

Mais ce qui ajouta à la terreur du pêcheur, ce fut de voir une hache se promener dans les airs et se diriger vers lui. La hache tournoya au-dessus de sa tête et l'être invisible qui la maniait semblait vouloir lui couper la tête.

" Au secours ! " cria le pêcheur.

Alors il vit la meiga qui s'approchait. Elle saisit la hache de sa main blanche, et quand elle l'eut saisie, la hache disparut. Et le pêcheur se sentit délivré des mains invisibles qui le maintenaient au sol. I1 se redressa et regarda la meiga. Elle était plus belle que jamais et ses yeux encore plus brillants que les autres fois. Elle souriait et regardait le pêcheur avec beaucoup de douceur. Le pêcheur était soulagé de la trouver près de lui. Elle venait de le délivrer d'une situation atroce et il espérait bien qu'elle le ferait sortir de cet étrange endroit où il n'aurait jamais dû pénétrer.

" Veux-tu m'épouser ? " demanda-t-elle.

Le pêcheur ne s'entendit même pas répondre. " Oui, dit-il, je le veux bien. "

Le jeune épousa la meiga à ce qu'on raconte, et il quitta son métier de pêcheur. I1 s'établit avec sa femme sur une colline, au milieu des bois et personne ne sut jamais de quoi ils vécurent. Mais ils eurent de nombreux enfants, et, actuellement encore, ce sont des descendantes de la meiga et du pêcheur que les hommes rencontrent parfois, le soir, quand l'obscurité envahit la terre. Et, à chaque fois, ces femmes luminescentes demandent aux voyageurs:

" Veux-tu m'épouser ? "